Créatures de chair ou ectoplasmes.
A la Hochschule fur Bilbende Kunst (l’Académie des Beaux Arts de Dresde), en Allemagne, je me promène. Au détour de l’atelier 123 de la Brulsche Terrasse, je rencontre Yesul Lee. Elle est dans la classe du professeur Scheffler, ici la réputation veut que le noir prédomine dans les œuvres qui tapissent les murs de cet atelier, dessinant sur ceux ci des scènes aux allures de cauchemars. Les couleurs berçantes des tableaux de Yesul dénotent, c’est aussi ce qui leur donne toute cette lumière.
Assise devant son chevalet, elle regarde sa peinture en fumant avec son personnage une fine cigarette. La fumée vient dissoudre ces personnages de verre dans un brouillard acidulé. Sur la table à côté, quelques sketchbooks ouverts et griffonnés de crayon à papier et de craie grasse.
La première de ses peintures m’a tout de suite interpellée : schématique, énigmatique, ce trait sale sur ces couleurs pastelles. Yesul a vingt-deux ans, elle vient de Corée du sud, s’est inscrite aux écoles d’art d’Allemagne pour suivre son ex petit copain ; et de toute façon contemporary art is more contemporary in Europe, elle dit. Elle est toujours bien habillée, les cheveux toujours lisses noires, coupés au carré, avec une certaine sérénité et suavité dans ses gestes, dans sa voix.
Ces peintures partent toujours d’un à-plat de couleur candy, like marshmallow parce qu’elle aime bien, que ça la vitalise. Cela rend l’histoire plus sensuelle, c’est un feeling, pour pas trop se mettre en danger et rassurer aussi. Elle enveloppe le spectateur d’un voile sucré avant de contraster avec le trait dirty du corps brumeux, aux formes cocasses, qui font échos aux postures, bien que moins acérées, des figures de Egon Schiele, un de ses peintres préférés.
Tous ces corps sont sketchés de nous, de ses amis, des gens qu’elle croise. Souvent avec son carnet, elle dessine. Ce jour là, ce fut mon tour alors que j’étais en train de feuilleter le livre des œuvres de Cy Twomby, toujours ouvert sur son bureau. Quelques minutes plus tard, curieuse du résultat je regarde, là je retrouve un schéma approximatif, aux traits irréguliers, c’était surprenant car à l’Hfbk la plupart des dessins des élèves sont d’une réalité déconcertante.
Aucun trait distinctif ne pourrait nous aider à reconnaitre le reflet d’un copain, ou les siens. De manière spontanée et appliquée à la fois, je ne suis sur son carnet, qu’un trait de craie grasse où je reconnais des bras, des jambes.
Les corps de ses dessins ne sont pas genrés, n’ont de formes ni féminines ni masculines, just boobs sometimes… Pour elle les corps qu’elle dessine ne sont pas des personnes, juste des corps au même titre qu’ils pourraient être des objets, une pièce ou un paysage. Et pourtant, elle ne conçoit pas une création sans un humain de qui s’inspirer et ne se dit pas plus proche de la figuration que de l’abstraction.
C’est d’après quelques uns de ses dessins que naissent les peintures. Mais ils n’en sont pas moins importants. Le dessin est petit, la toile plus grande, parce que c’est plus funny. A cette étape, elle en oublie la personne derrière le crayon, et se laisse beaucoup de liberté pour convier cette créature à un autre destin.
Devant ces peintures, je pense aux travaux de l’artiste Vincent Gicquel, à ces créatures étranges qui se meuvent dans un paysage de coton. Tels des enfants s’amusant à la peinture dans un palais d’ivoire.
Au fil des mois, ces oeuvres au début comme tirées à quatre épingles, à l’arrière plan tellement lisse qu’il en devenait brillant ont commencé à prendre de la matière, de l’épaisseur, puis de l’agressivité. Yesul est d’une extrême douceur. Mais parfois, la toile paisible se recouvre avec tant de violence dans le coup de pinceau… Cela me déconcerte. Elle a écrasé la matière avec ses doigts, griffé presque, arraché les coups de craie sur la toile.
You have to be in a child’s room to experience the beauty of scribbles.
La chrysalide pastelle accueille ici des monstres intérieurs, des souvenirs, des êtres qui s’enlacent, se perdent, ou se retrouvent. Créatures de chair, ou hectoplasme, ce sont des êtres dans l’attente, dans une brume de désespoir, toujours ils se langent dans une douce mélancolie. Les personnages de Yesul n’ont pas d’âges, ne sont ni enfants, ni vieillards. Ils ne prennent pas de figures effrayantes, mais quelque chose d’étrange se dessine, une atmosphère ambivalente.
Pour les accompagner, elle n’écrit pas d’histoire, ne nous donne pas de titres, ni d’indices. Sur la toile rassurante et préparée avec soin, ils sont ici, déposés, livrés à eux même. De ces amoureux peut être qui se donnent la main, de ces corps siamois, de ces ombres, de ces cernes écarlates, il ne figure plus d’identité, mais il en reste la trace, l’empreinte. C’est à nous seuls, sur ce voile couleur lavande d’écrire leur propre poésie.
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